Présentation du projet
La Cartographie des Mémoires de l’Esclavage (CME) est un projet financé par le Conseil pour la Recherche dans le domaine des Arts et Humanités (AHRC) grâce au programme Leadership Fellowship. Ce projet étudie comment les militants, les institutions culturelles et les groupes associés au gouvernement, basés en France et dans les départements d'Outre-mer de la Martinique, la Guadeloupe et La Réunion, prennent position vis-à-vis de la participation historique de la France dans l'asservissement des peuples d'ascendance africaine et de la façon dont cette histoire continue d'affecter de manière négative la société contemporaine. Le site internet de ce projet propose une carte interactive avec une base de données entièrement consultable, permettant aux utilisateurs de rechercher des réseaux militants et des lieux culturels sur les territoires français. Il affiche la localisation géographique d’associations, de groupes militants et de lieux culturels, et fournit également des informations détaillées sur les différents groupes ou lieux de mémoire, tels que leur histoire, leurs buts et objectifs, leurs sites Web, leurs coordonnées, les articles de presse les concernant, ainsi que leurs connexions avec d'autres militants.
Objectifs
- Permettre aux militants d’accéder à des informations sur d’autres militants partageant les mêmes centres d’intérêts, et ce sur différentes zones géographiques.
- Servir de ressource permettant de mettre en relation les universitaires et les militants, afin que les utilisateurs puissent établir des connexions avec des groupes plus ou moins éloignés d’un point de vue géographique, idéologique et politique.
- Créer des passerelles vers le travail des associations et des institutions culturelles, pour permettre aux utilisateurs d’explorer différentes manières d’aborder la mémoire et le militantisme.
Afin d’atteindre ces objectifs, nous avons créé en ligne une carte et une base de données entièrement consultable, à l’attention des militants, chercheurs et autres professionnels. En plus de fournir une quantité d’informations utiles, elles visent également à encourager les collaborations entre les membres d’un large réseau de professionnels, qu’ils viennent ou non d’un milieu académique. Ce faisant, l’objectif de ce site est de mettre en relation les communautés sur une zone géographique étendue, tout en contribuant de manière positive à la construction des mémoires de l’esclavage en France de nos jours.
Contexte historique
En 1998, la France a commémoré le 150ème anniversaire de l’abolition de l’esclavage (27 avril 1848). À l’occasion de cet événement, elle a célébré le rôle qu’a joué la République dans l’abolition de l’esclavage dans ses anciennes colonies esclavagistes des Caraïbes et de l’Océan Indien. Cependant, il n’y eu aucune reconnaissance officielle du rôle que jouèrent les esclaves dans leur propre libération, et l’État français ne présenta pas ses excuses pour sa responsabilité dans le transport de plus de 1,2 millions d’africains dans ses colonies esclavagistes entre 1635 et 1818, date officielle de l’abolition de l’esclavage. À la différence de la commémoration officielle menée par l’état, plus d’une centaine d’associations se regroupèrent le 23 mai pour organiser une marche silencieuse dans les rues de Paris en hommage aux victimes de l’esclavage. Ce rassemblement important marqua l’aboutissement de nombreuses années de militantisme social mené par des groupes ou associations de citoyens.
Bien avant 1998, des associations avaient pris certaines mesures à un niveau local afin de faire reconnaître le passé esclavagiste de la France et de rendre hommage aux esclaves qui s’illustrèrent dans leur lutte contre l’inhumanité de l’esclavage. Par exemple, l’association Cifodrom inaugura une statue du révolutionnaire haïtien Toussaint Louverture dans la commune parisienne de Massy en 1989. En 1992, un groupe de descendants d’africains - qui formera plus tard l’Association pour la Sauvegarde des Droits Nationaux des Peuples de Guadeloupe, Guyane et Martinique - demanda à ce que l’esclavage et la traite négrière soient reconnus comme crimes contre l’humanité.
La marche silencieuse dans les rues de Paris constitua un effort collectif qui permit de rassembler ces associations ainsi que beaucoup d’autres. Quarante mille personnes, pour la plupart venus des départements d’Outre-mer, assistèrent à cet événement exceptionnel qui permit de collecter près de 10 000 signatures pour une pétition destinée au gouvernement français, demandant à ce qu’il reconnaisse le caractère criminel de son implication dans l’esclavage et la traite négrière. Ceci inspira la ‘loi Taubira’ de 2001, qui a reconnu rétrospectivement les traites négrières transocéaniques et l’esclavage comme ‘crimes contre l’humanité’ et a également eu pour effet de briser le silence institutionnalisé qui avait longtemps mis l’accent sur le côté festif de l’abolitionnisme. La loi Taubira, du nom de son instigatrice l’ancienne ministre socialiste de la justice Christiane Taubira, a amené la République à affronter son passé esclavagiste. Il est cependant important de noter que ce sont les associations en collaboration avec des collectivités locales et régionales qui furent à l’origine des efforts politiques entrepris pour s’impliquer dans l’histoire de l’esclavage de la nation.
Depuis la mise en place de cette loi, l’État français a pris plusieurs mesures pour incorporer les mémoires de l’esclavage dans son récit national. En 2004, le gouvernement créa le Comité pour la mémoire de l’esclavage, un comité consultatif majoritairement composé de bénévoles, qui donne notamment son avis sur les changements jugés nécessaires dans le cursus scolaire, et qui est à l’origine de la création de la Journée nationale des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leurs abolitions (10 mai 2006-). Cependant, la majorité du travail sur les mémoires de l’esclavage est conduit à un niveau régional ou local, grâce à des projets entrepris par des autorités locales, des institutions culturelles, ou des groupes de militants avec peu ou pas de soutien de la part du gouvernement national. Ces organisations mettent progressivement en lumière une histoire qui relie directement la France à ses départements d’Outre-mer des Caraïbes et de l’Océan Indien. Ils travaillent collectivement à la reconnaissance de l’histoire de l’esclavage et à la revalorisation du statut économique et social des descendants d’esclaves. Plus encore, ils relient le passé au présent en examinant les effets néfastes que cette histoire continue d’avoir sur la société française contemporaine, en particulier en ce qui concerne les discriminations socio-économiques et raciales dont souffrent toujours les communautés noires vivant en France. En mettant en avant ce travail complexe et multiforme, ce projet cherche à contribuer à ce long militantisme social qui aspire à la reconnaissance d’un crime contre l’humanité dont les répercussions se font toujours ressentir dans la société d’aujourd’hui.